lundi 13 avril 2015

Remarques générales sur le « projet stratégique » de Mathieu Gallet

Préambule

D’une manière générale, les salariés de RF ont subi, depuis des années, une dégradation de leurs conditions de travail et un dialogue social de plus en plus inexistant (mépris des organisations syndicales, impossibilité de négocier, harcèlement, autocratisme, manipulations, etc.) qui ont abouti, au fil du temps, à une situation explosive. La grève de 2015 aurait pu être l’occasion pour la Direction de manifester une ouverture en matière sociale et c’est l’inverse qui s’est produit. La durée de la grève, ainsi que l’exécrable qualité des relations humaines dans les négociations ont rendu, chaque jour, de plus en plus impensable la reprise d’un dialogue social serein. Or le projet de Mathieu Gallet énonce lui-même (et à juste titre) que les transformations qu’il propose « supposeront un dialogue social renouvelé » et que pour y parvenir « une mobilisation de l’entreprise dans son ensemble » sera nécessaire.

La conséquence à tirer d’une situation aussi bloquée et contradictoire c’est l’annulation pure et simple du projet Gallet, dans l’ouverture d’une large consultation des élus et du personnel en lieu et place d’un nouvel audit privé bidon réalisé par des personnes extérieures n’ayant aucune connaissance de l’entreprise, de ses métiers et de son histoire, ni aucune idée des solutions concrètes de mise en place et d’exécution des mesures préconisées. Pour rappel, une motion de défiance et la demande d’un médiateur a été déposée par les organisations syndicales, ce qui acte la rupture complète du dialogue social avec l’actuelle présidence, l’actuelle DRH et bon nombre d’autres Directions de l’entreprise. Les conditions de mise en oeuvre du « Plan Gallet » ou d’un quelconque projet d’entreprise qui en serait issu ne sont donc actuellement pas réunies, et à plus d’un titre… 

Par ailleurs, ce projet ne comporte aucune donnée chiffrée sérieuse qui permettrait le débat; nous ne pouvons donc le considérer comme un projet stratégique digne de ce nom. Par comparaison, le projet de restructuration 2011-2016 de la BBC comporte une centaine de pages, sans langue de bois, avec des données d’organisation documentées, des données économiques détaillées et des options chiffrées pour chaque proposition. Nous sommes, dans cet exemple de la BBC, bien loin de l’esquisse de feuille de route proposée aujourd’hui par Mathieu Gallet.


Lecture critique de quelques éléments du « Plan Gallet »

Quoi qu’il en soit, il est néanmoins possible de faire une lecture critique du « Plan Gallet ».

Il s’agit d’un plan qui trace avant tout les grandes lignes idéologiques de la politique de la direction de Radio France, sans en passer par un bilan sérieux des acquis (aucune étude sérieuse n’est adossée au plan) ni aucun chiffrage de sa mise en oeuvre. Ce plan s’inspire d’un audit réalisé par un Cabinet externe, sans expérience de la radio, il se contente d’en reprendre les conclusions générales et de l’accompagner de quelques principes généraux de management dépassés – management d’autorité tablant sur la vitesse, la verticalisation et faisant l’impasse sur la concertation avec le personnel (on sait pourtant que ce type d’approche est inefficace et socialement destructrice). Ce plan, de surcroît, fait l’impasse sur deux questions cruciales pour l’entreprise, questions d’ailleurs pointées par le ministère de tutelle : la nécessaire réduction des inégalités sociales (inflation du salaire des cadres et donc de la fourchette des salaires) et celle de la précarisation (recours croissant à l’intermittence et aux CDD, avec de nombreuses situations d’illégalité manifeste).


Le numérique

Dans ses grandes lignes, le « passage à l’ère numérique » n’est en fait décrit dans le projet que comme la continuité de la politique pratiquée depuis déjà quelques années par la DNM avec un minimum de moyens et qui a été réalisée en prélevant 150 emplois sur l’ensemble de RF, prélèvement qui a contribué à dégrader les conditions de travail des services amputés. Donc la question du financement de ce « passage à l’ère numérique » se pose à deux niveaux : quid du coût direct de la poursuite de la numérisation, quid du fonctionnement des services amputés. Sachant que « passage au numérique » signifie développement de nouveaux supports (qui ne s’improvisent pas) et que s’il faut amputer la production pour passer à « l’ère numérique » on remplira les tuyaux tout neufs avec des contenus appauvris.


Les antennes

Concernant les antennes, la Cour des comptes a signalé elle-même la grande qualité des contenus et leur diversité actuelle. Et si France-Musique ou le Mouv’ accusent des baisses d’audience, les diverses réformes à la va-vite déjà effectuées n’ont fait qu’aggraver une situation difficile depuis longtemps, sans parler des conséquences matérielles et psychiques de ces réformes sur les salariés travaillant au sein de ces Chaînes. Inutile et passablement dangereux donc de rajouter une Xème réforme flash qui ne pourrait que conduire à leur destruction. 

S’agissant spécifiquement de France Musique, la présentation du projet est indigne. L’analyse musicale est reléguée sur le Web et l’antenne s’apparente à un flux continu et invertébré de musique « classique » et de jazz, prélude à sa disparition pure et simple. Aucune vision culturelle, historique ou esthétique des missions de la Chaîne n’apparaît dans le projet. 

Même remarque générale concernant le réseau « Bleu » qui subit des réformes, ouvertures/fermetures de stations, redéploiements, etc. depuis fort longtemps (à commencer par le rattachement des stations régionales à RF en 1982, stations qui ont vu leurs moyens se dégrader progressivement, puis être redéployées : éternellement la même politique débouchant systématiquement sur une nième réforme). Le plan ne prend nullement en compte l’histoire pour penser l’avenir. Il perpétue la politique de table rase qui fait l’impasse sur les salariés, leur relation de long cours avec l’entreprise et leur engagement (à ce titre, comme on a pu le remarquer lors de la grève, Radio France est une entreprise à laquelle ses salariés sont très attachés, on vient traditionnellement par choix et par passion travailler à Radio-France, c’est une donnée centrale qui, si elle est ignorée par une Direction coupée de sa base, ne peut que conduire à l’échec). Il convient donc de penser la réforme du réseau Bleu en faisant un bilan des différentes réformes précédentes, en évaluant leurs échecs et succès avant de prendre des décisions hâtives.

La même remarque vaut pour le réseau FIP qui a subi tout au long de son existence réouvertures et fermetures et régulièrement la menace de suppression pure et simple de son réseau.


L’encadrement

Concernant la mobilisation de l’entreprise et de la « construction d’une communauté de cadres portant les objectifs stratégiques et participant à la mise en oeuvre des réformes », notons que la Cour des comptes publie un tableau mettant en évidence la prolifération aberrante du nombre de cadres dans la maison : + de 58% en 10 ans, ce qui évidemment a lourdement impacté l’augmentation de la masse salariale pointée par le Ministère. Il semble donc exclu d’embaucher de nouveaux cadres, avec 1 cadre pour 22 salariés Radio-France est déjà plus qu’encadrée. Quant à la mobilisation actuelle des hauts cadres, cette grève en a donné un aperçu édifiant : Directrice Générale, Directeur de la Musique et Directrice des Personnels de Production en arrêt maladie (liste non exhaustive), ce pendant la plus longue grève de l’histoire de Radio France. La Direction n’ignore pas que les arrêts maladie sont un indicateur essentiel de la bonne ou mauvaise santé d’une entreprise. Autant de hauts cadres simultanément malades, c’est une première significative.


Le « Public »

L’un des points les plus centraux de ce projet est l’ouverture de la radio à « un plus large public », ouverture physique de la Maison de la radio et ouverture médiatique en termes d’audience. Cette ouverture préconisée « sera fortement orientée vers les nouvelles générations ». Là aussi aucun bilan n’est fourni : depuis 20 ans nous assistons à la suppression systématique des émissions spécifiques à destination du jeune public. Ce plan ne propose pas de les rétablir, mais se focalise sur des ateliers, des manifestations ou du détournement de programmes courants pour satisfaire aux sujets du Bac. Alors qu’il conviendrait de relancer une production spécifique, pas seulement littéraire et académique, qui couvrirait toutes les tranches d’âge de la jeunesse, production autrefois existante qui a été détruite et qu’il faudrait repenser et développer, le plan se contente de tentatives misérables d’ouvrir la radio aux scolaires en organisant des ateliers à bas prix, en ne dotant pas ce secteur des rapports avec le jeune public et avec l’éducation nationale de moyens spécifiques, en omettant de se concerter avec les compétences internes à ce sujet, à l’instar de l’exemple très parlant des « ateliers bruitage »... sans bruiteurs (!).

Oui, il faut construire une politique d’ouverture au jeune public, tant en matière de création, de production que de diffusion et il faut pour cela se doter de moyens adéquats et suffisants (là comme ailleurs, aucune embauche prévue dans le cadre des 50 nouveaux emplois…) et être innovants, c’est-à-dire ne pas copier les radios privées, mais les devancer. Il existe à l’intérieur de la Maison des secteurs qui effectuent ce travail depuis des années, notamment au sein des programmes pédagogiques des orchestres et au sein du service des Fictions (avec un capital d’expérience encore vivant malgré l’éviction des émissions pour les enfants depuis plusieurs années). Il conviendrait de travailler avec eux et se servir de ces expériences, de ces réseaux et de ces compétentes pour aller de l’avant. 


La « réhabilitation »

Concernant les travaux, pièce pourtant maîtresse des conditions de possibilité du projet de Mathieu Gallet, seul un petit paragraphe aborde la question. En résumé il y est dit qu’il faut finir les travaux en 2018, élaborer un plan de financement pérenne (pas de proposition, ni de chiffrage à ce stade), mettre en place un programme d’investissement courant pour l’entretien du bâtiment dans la durée (un truisme). Rien sur l’état actuel des travaux, aucun bilan, aucune analyse concernant leur dérive financière catastrophique, aucune expertise sur les responsabilités de ce scandale. Rien non plus sur un moratoire qui permettrait de faire le bilan et de proposer des solutions architecturales et financières acceptables pour leur finalisation en tenant compte (comme le dit le texte) « des enjeux sociaux du chantier et ses impacts sur les conditions de production et de travail des salariés ». Et pourtant la question du chantier et de sa poursuite est primordiale : ce chantier a déjà eu des effets désastreux sur la production, sur la santé et le moral des salariés et sa poursuite paralyserait tout le secteur si des solutions de remplacement studio par studio, cellule de production par cellule de production n’étaient pas pensées, programmées et actées. Rien non plus là-dessus dans le projet. 


Les studios « moyens »

Un (deuxième) paragraphe concernant un projet de travaux affectant les studios dits « moyens » est, lui, proprement stupéfiant: il ajoute aux prévisions de chantier déjà existantes et mises en cause pour leur conception et leur coût pharaoniques un chantier supplémentaire inutile, voire dangereux (amiante dont l’expertise initiale avait conclu qu’elle était inerte et confinée), dont il faudra trouver le budget (par l’emprunt ?), alors qu’il s’agit à présent d’endiguer l’inflation financière de ces travaux. En effet, ces studios moyens, remarquablement conçus fin des années 50, d’une part pour l’enregistrement d’une grande partie des productions musicales radiophoniques (avec et sans public), d’autre part pour l’enregistrement de fictions radiophoniques, et dont personne ne songe à contester la grande qualité acoustique et fonctionnelle, ne nécessitent à l’évidence qu’une remise à niveau (pour les équipements techniques) et quelques interventions ou améliorations ponctuelles. Or, ce qui est programmé c’est leur démantèlement pur et simple via le détournement de leur fonctionnalité première, à savoir la production radiophonique d’enregistrements de musiques et de fictions.

L’enjeu est énorme. Ces studios, parfaitement insonorisés et protégés des nuisances sonores externes, sont construits comme une « boîte dans la boîte », les restructurer reviendrait à casser leur structure d’insonorisation très efficace et inscrite dans la conception même du bâtiment. Leurs performances acoustiques ont d’ailleurs déjà été mises à mal par le comblement des interstices qui les séparent les uns des autres par des gravats issus du chantier, à l’initiative récente d’un responsable ignare. Selon le rapport initial qui a présidé à cette « réhabilitation », décidément bien destructrice, l’amiante qu’ils contiennent est inerte, étant enserrée entre des couches de béton, y toucher reviendrait donc à devoir procéder à un désamiantage inutile en termes de santé des personnels et totalement dispendieux à l’heure actuelle. De fait, sous un langage subtilement ambigu nous comprenons qu’il s’agit de récupérer « des espaces » (et donc de réduire l’espace propre à la production en studio) en vue d’une commercialisation des dits espaces (location au privé). C’est ce que signifie cette formulation du projet stratégique : « [une étude] portant sur la destination des autres espaces disponibles et le modèle économique de leur exploitation ». 

Par ailleurs, vu l’urgence d’achèvement du chantier, ces travaux seront programmés en parallèle des phases 3 et 4, si bien qu’il n’y aura plus aucun studio de production lourde disponible à partir de décembre 2015 et ce pour une durée indéterminée. Et donc, d’ores et déjà, plus de production de fictions (entre autres). Il faut arrêter immédiatement ce projet de refonte des studios moyens, absurde et coûteux (nouvel appel à des cabinets d’études extérieurs et d’architecture en urgence avec toutes les conséquences habituelles attachées à la méthode).


La masse salariale

Concernant les efforts sur la masse salariale et le financement du programme, il conviendrait, comme signalé plus haut, de commencer par mettre un terme à l’engagement de hauts cadres dans l’entreprise, puis, à terme, de réduire leur nombre inflationniste et disproportionné (cf. le rapport de la Cour des comptes).

Les salariés, quant à eux, ne sont pas prêts à porter davantage le poids des dérives des Directions successives, en particulier la dérive des travaux. Là aussi ce sont aux responsables de payer, encore faudrait-il faire rechercher ces responsabilités, internes et externes, par une expertise indépendante.

Quant aux créations de postes, il conviendrait de lister les nécessités réelles en privilégiant le recrutement en interne : il y a de la part de la Direction depuis trop d’années un dénigrement systématique des compétences internes qui entretient un climat de plus en plus malsain alors que l’entreprise regorge de personnels compétents. Notons que sur les 50 créations de postes préconisées aucune ne concerne une activité de production radiophonique, ce qui est symptomatique de ce projet. Il serait nécessaire d’éclaircir en quoi des postes de « production scénique » sont actuellement indispensables, des postes supplémentaires de marketing et, bien entendu, il serait nécessaire de fournir des chiffres, là encore. De même pour ce qui concerne les suppressions de postes : il conviendrait de détailler leur répartition par secteur (administration, information, production, autres) et de chiffrer cette répartition en pourcentages.


Conclusion

La transparence devrait être le maître mot de ce projet, à commencer par lui-même. Une fois élaboré, clarifié, quantifié et approuvé, il serait judicieux de le publier sur le site de Radio France, à l’attention du personnel et du public, le rendant ainsi accessible aux contribuables.

Ce projet ne peut être ni débattu, ni a fortiori approuvé en l’état car il se contente de généralités idéologiques et de propositions floues non chiffrées, il ne s’agit pas même d’orientations.

Un projet digne de ce nom nécessite un minimum de travail en profondeur : raisons, perspectives et données chiffrées à l’appui. Ce travail est actuellement impensable à réaliser avec les personnels de Radio France en raison de l’état infiniment dégradé du dialogue social et, même en cas de reprise du dialogue, impensable à imaginer à partir de ce texte beaucoup trop faible et par trop biaisé dans ses formulations. 

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