Nous, les surnuméraires en lutte, nous nous adressons aux autres surnuméraires, ceux qui
le sont déjà, ou ceux qui sont en voie de le devenir.
Nous vous parlons. Nous sommes peut-être votre miroir.
Parmi nous, bien sûr, il y a des différences. Nous sommes nombreux. Il y a des
contradictions, des désaccords. On voudrait nous opposer, peut-être même nous opposer à
vous, les autres surnuméraires.
Aujourd'hui, nous sommes tous face à un choix de société, non pas face à un choix abstrait,
lointain, mais face à un choix qui implique la façon dont nous allons continuer à vivre très
concrètement. Nous ne parlons pas de sociétés idéales, ou de modèles politiques à suivre,
mais de formes concrètes de vie, dans le seul monde possible qui est celui-ci.
Nous ne voulons pas que la vie ait comme sens unique celui de l'utilitarisme. Celui où tout
sert à quelque chose, où il y a toujours un but, une fonction pré-établie, où il ne reste plus de
temps pour réfléchir, pour questionner... nous sombrons alors dans la société de l'urgence, de
toutes les urgences.
Et l'urgence est la meilleure façon de discipliner les gens. « Nous sommes d'accord, disent
les maîtres, bien sûr, mais plus tard, plus tard... »
C'est plus tard pour la vie.
C'est plus tard pour la dignité.
C'est toujours plus tard pour la solidarité.
Les maîtres ne se trompent pas. Notre choix de vie implique un choix de société : celle qui
ne veut pas seulement éduquer utile, penser utile, armer les enfants pour l'avenir, gérer
efficace, aller vite, produire plus. Une société où la pensée, la poésie, la philosophie, la
rêverie ne sont pas considérées comme hors programme. Où la notion de gratuité du temps,
de l'échange sont à nouveau une évidence.
Nous sommes ceux qui rappelons une chose très simple à la société : nous ne savons pas
pourquoi nous nous levons le matin, pourquoi nous aimons, pourquoi... nous vivons.
Attention, ils nous désignent comme des surnuméraires, et pour beaucoup de gens, tomber
sous cette désignation-là, revient aujourd'hui à une condamnation grave : chômage, arrêt de
soins, fin de droits, expulsion, isolement, mort. Alors, plutôt que d'essayer de nier, nous
disons, oui nous sommes des surnuméraires, mais seulement dans VOTRE modèle de
société et même si votre modèle est aujourd'hui dominant, la vie, elle, continue, à travers la
création, la solidarité, la pensée, la résistance. Parce que le « trop » fait encore partie de ce
monde.
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